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Surface de la planète, de Daniel Drode

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Surface de la planète, de Daniel Drode.

Références bibliographiques :

Daniel Drode, Surface de la planète, Paris, Gallimard/Hachette, coll. « Le Rayon Fantastique », 1959.

Daniel Drode, Surface de la planète, Paris, Robert Laffont, coll. « Ailleurs et Demain Classiques », 1976. NB : cette réédition restaure certaines expressions, graphies et mises en page selon le projet original de l’auteur.

Éléments critiques :

  • « Intérim », Fiction, n° 73, décembre 1959, p. 132.
  • Simon Bréan et Clément Pieyre, « Les chaînes de l’avenir : la science-fiction est-elle une littérature à contraintes ? », Recto/Verso n° 4, « Mauvais Genres », janvier 2009, [en ligne], http://www.revuerectoverso.com/spip.php?article143.
  • Martial- Pierre Colson, « À lire ou pas », Fiction, n° 279, avril 1977, p. 176.
  • Daniel Drode, « Science-fiction à fond ! », Ailleurs, n° 28-29, avril-mai 1960, p. 24-31.
  • Gérard Klein, « Science-fiction et roman nouveau », Daniel Drode, Surface de la planète, Paris, Robert Laffont, coll. « Ailleurs et Demain Classiques », 1976, p. 7-26.
  • Une analyse en ligne, par Stalker.
  • Jean-Louis Trudel, « Surface de la planète », The New York Review of Science Fiction, volume 3, numéro 7, mars 1991, p. 17.
  • La fiche Wikipedia consacrée à l’auteur et au roman.

Synopsis :

Voici bien longtemps, après une catastrophe atomique, une partie de l’humanité a trouvé refuge dans un complexe souterrain, dénommé “le Système”. La survie de leurs descendants a été organisée mécaniquement : les enfants grandissent en cuve, puis sont placés dans des cellules individuelles où ils passent toute leur vie, alimentés par des tablettes nutritives, distraits et éduqués par la Vision, un dispositif de réalité virtuelle.

La première partie est rédigée à la 3e personne et au passé simple. Au moment où commence le récit, quelques humains s’aperçoivent que le Système ne fonctionne plus à la perfection. Quelques échanges et discussions entre eux permettent d’établir leur totale impuissance face à l’effondrement de leur mode de vie. Lorsque le Système cesse de les soutenir, les survivants sont obligés de remonter à la surface de la planète.

Dans la seconde partie, la narration passe à la 1ère personne et au présent. L’un des survivants fait le récit de son exploration de la surface, en indiquant ce que lui inspirent ses découvertes. Passé le premier moment de peur, il prend la tête d’un groupe, qu’il mène à la recherche de nourriture. Après une errance dans une nature hostile, ils découvrent les ruines d’une ville et en particulier une sphère contenant des réserves de nourriture maintenue en suspension pendant des siècles. Des conflits se déclarant entre survivants, le groupe du narrateur cherche son bonheur en d’autres lieux. La rencontre avec un robot issu du Système leur permet d’apprendre comment étaient élevés les enfants, puis un incendie de forêt les disperse. Le narrateur se dispute avec une camarade, qui voulait préserver du feu pour refonder une civilisation technique. Après leur séparation, il est attaqué par une bande d’enfants sauvages et se détermine à ne plus entretenir de relation avec les autres humains. Parmi les merveilles écrasantes de la nature, il rencontre une étrange anomalie, un réseau bidimensionnel qui ne cesse de s’étendre. Sa route croise encore celle d’un sauvage d’une grande politesse, qui lui décrit quels mutants ont pu survivre à la surface de la planète, hors de la protection du Système, puis celle d’un groupe de survivants décidés à créer une nouvelle société. Le narrateur rejette tant le sauvage que les aspirants civilisés, préférant contempler le réseau bidimensionnel, qui lui semble destiné à s’étendre et à dominer le monde entier. Ses derniers instants se partagent entre des réflexions sur le Système et des expériences sensorielles hors du commun, procurées par le contact avec le réseau, qui a la particularité d’annuler le temps en même temps que la troisième dimension. Le narrateur, absorbé par le réseau bidimensionnel, disparaît de l’existence.

Thèmes :

Le thème principal du roman est la description d’un monde post-apocalyptique, et de la survie d’êtres humains privés de moyens techniques. Le Système fournit l’exemple d’un complexe utopique, ou dystopique, selon le point de vue. Néanmoins, l’intérêt essentiel de cet ouvrage est la réflexion sur l’évolution de la langue et des représentations : la majeure partie du texte est rédigée du point de vue d’un habitant du Système, dont le langage et la psychologie diffèrent beaucoup de leurs équivalents du XXe siècle.

Aperçu critique :

Surface de la planète est le seul roman de son auteur, Daniel Drode. Rédigé entre 1953 et 1955, proposé en premier lieu à la NRF, il  a obtenu le Prix Jules Verne en 1959, un prix d’éditeur garantissant à un manuscrit français la parution dans la collection du Rayon Fantastique. À cette époque où il ne paraissait encore que très peu d’auteurs français hors de la collection Anticipation du Fleuve Noir, les membres du jury de ce Prix ont eu à cœur de sélectionner un texte novateur. Le roman de Daniel Drode se distingue de la plupart des œuvres contemporaines à deux égards : il ne s’agit pas d’aventures spatiales, mais d’un récit d’anticipation situé dans un avenir lointain, dans le sillage d’une catastrophe atomique ; la langue dans laquelle le texte est rédigée a été travaillée de manière à donner un aperçu des processus mentaux de nos lointains descendants.

La méthode retenue par Daniel Drode est donnée par ses “Notes préparatoires”, conservées dans le Département des Manuscrits de la BNF. Son objectif est de placer le lecteur en situation, de l’inciter à adopter le point de vue d’un de nos lointains descendants :

« Je garde la méthode SF (coup de poing : pas d’explication) et l’applique à une anticipation plus qu’à une SF = id° Bradbury » (Daniel Drode, « Dispositions générales I », Bibliothèque nationale de France, département des
Manuscrits, NAF 28454, fonds Daniel Drode, notes de travail).

Pour cela, il agit essentiellement sur le lexique, en substituant un terme proche par le son (un puceron microcosmique), il emploie des termes dans des sens surprenants (“un cillement de la nature” pour désigner un phénomène courant, à peine perceptible), mais conçus comme non métaphoriques par le locuteur (un ‘cactus renfrogné sur son eau’), produit des mots-valises pour associer des concepts (“transpercevoir”, pour “apercevoir au travers des apparences”) ou pour mettre en valeur des particularités de ce monde futur (“adultifié” pour parler d’un enfant grandi en cuve), création de mots nouveaux suivant des règles de création classique, mais à partir de mots peu usités (“sémaphorer” pour “faire des signes”, “chimérer”, pour rêver), simplification de certaines graphies oralisées (“ia” pour “il y a”). Tous ces procédés convergent vers un langage synthétique, une manière simplifiée, abstraite mais aussi poétique d’appréhender un monde qui n’existait plus que par l’intermédiaire de reconstitutions virtuelles depuis des siècles.

Il s’ajoute à cela une mise en page conçue pour produire différents effets. Il peut s’agir de simples alinéas abrupts servant à marquer la surprise du narrateur. Parfois, de longs blocs blancs indiquent une grande ellipse narrative, suggérant l’étendue de plaines désertes et interminables. Certains paragraphes adoptent la disposition des vers libres, par exemple pour suggérer la diction mécanique du robot chargé de s’occuper d’enfants. D’autres passages semblent être de longs poèmes en prose, lorsque le narrateur laisse ses pensées s’égarer et que son flux de conscience charrie des images par association d’idées.

Ces procédés rendent la lecture du texte de Daniel Drode plus ardue, mais ils lui confèrent également un charme poétique, en mettant en évidence les biais sociologiques qui influencent les perceptions et les conceptions d’un être qui n’a connu que les quatre murs d’une cellule nue. Le narrateur de ce récit reste toujours à distance, refusant d’accepter le monde de la surface. Il observe, critique, analyse parfois, mais persiste dans son refus de s’intégrer à ce monde, de le travailler, de le modifier. Il ne fait que le subir et le ressentir, avant de se laisser absorber par des êtres qui symbolisent, du fait de leur bi-dimensionnalité, une forme de simplification enrichissante du même type que celle que Daniel Drode a imposée à la langue française.


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